Tecindustry Magazine « Je me sentais comme une enfant de cinq ans dans un magasin de bonbons »
Interlocuteur  Tecindustry Tecindustry
+41 44 384 41 11 +41 44 384 41 11 infonoSpam@tecindustry.ch
Partager

« Je me sentais comme une enfant de cinq ans dans un magasin de bonbons »

Melanie Le Normand voulait faire des recherches soit sur le cerveau, soit sur le monde. Ensuite, ce sont les technologies spatiales qui l’ont fascinée. Elle collabore aujourd’hui à une mission pour satellites visant à mieux comprendre le changement climatique sur la terre. Il ne lui est jamais venu à l’esprit qu’une femme ne puisse pas le faire.

Qu’est-ce qui vous a mise sur le chemin d’une profession technique ?

Melanie Le Normand : J’ai toujours eu un esprit très pragmatique. Au moment de devoir choisir une voie, il est venu assez naturellement que j’irais dans un environnement technique, pour comprendre, expérimenter et quantifier une partie du monde dans lequel je vivais. À dix-huit ans, je voulais soit étudier le cerveau humain, donc les neurosciences ou la psychologie, soit étudier le monde, donc la physique ou l’ingénierie. Lorsque j’ai visité des universités à travers le monde, la recherche et les développements que j’ai vus à l’EPFL m’ont fait me sentir comme une enfant de cinq ans dans un magasin de bonbons. J’ai su que c’était là que je devais étudier. Les technologies spatiales m’ont ensuite captivées – aller au-delà du monde dans lequel je vivais a été une fascination immédiate.

Y a-t-il eu des événements qui ont influencé la direction de votre carrière professionnelle ?

Il y a eu un moment pivot au début de ma carrière professionnelle où j’ai clairement su que je travaillerais dans l’industrie. Lorsque j’ai commencé au CNES, l’agence spatiale française, après avoir été dans l’environnement industriel de RUAG Space (maintenant Beyond Gravity) à Zurich l’année d’avant, la production m’a beaucoup manqué. Dans l’industrie, je faisais partie d’un environnement palpitant dans lequel étaient produites des pièces de fusées, et où on pouvait simplement descendre à l’atelier et quasiment jouer avec elles. Cette réalité était celle dans laquelle je voulais être.

 


Avez-vous eu des exemples qui vous ont inspirée ?    

Ayant grandi avec une mère danoise, un père français, des parrain et marraine américains, une meilleure amie japonaise, et dans une école internationale avec des amis venant de partout dans le monde, mon environnement était par nature extrêmement ouvert. Lorsque j’étais jeune, je ne me souviens pas avoir eu un modèle particulier qui m’a inspirée à choisir cette voie. Aussi loin que je me souvienne, je sais cependant que je ne me suis jamais vue comme différente du fait que j’étais une fille. Je le dois à ma famille, qui n’a jamais fait de différence entre mon frère et moi lorsqu’il s’agissait des activités ou défis que l’on voulait poursuivre, ni des domaines que l’on choisissait. Je souhaite que tous les jeunes esprits puissent grandir sans stéréotypes de genre, sans jamais avoir à ressentir que certains choix sont plutôt ‘pour les garçons’ ou ‘pour les filles’. De mon côté, j’ai réalisé que ces stéréotypes de genre existaient seulement plus tard, lorsque j’ai été confrontée au monde en tant que jeune étudiante en ingénierie.

Y a-t-il eu des obstacles dans votre carrière ?

Mes débuts, aussi bien à l’université que dans l’industrie, m’ont catapultée dans un monde quasi-exclusivement masculin, ce qui était plutôt déroutant. Evidemment une certaine adaptation était nécessaire de mon côté, mais je me suis aperçue que mon environnement avait également besoin de support et d’accompagnement pour devenir plus inclusif. Comme malheureusement encore assez commun dans notre société en général, j’ai parfois reçu des compliments et propositions, qui m’ont même fait me demander si ma propre attitude était le problème. Les discussions directes à propos des évènement inappropriés, ainsi que le fait de pouvoir compter sur certains collègues qui se sont montrés être d’incroyables supports, m’ont été essentiels pour traverser ces débuts. Je pense néanmoins que l’environnement technique deviendra d’autant plus inclusif et favorable aux femmes que davantage de représentations féminines s’y trouvent à tous niveaux hiérarchiques. 

Dans l’industrie, je faisais partie d’un environnement palpitant dans lequel étaient produites des pièces de fusées, et où on pouvait simplement descendre à l’atelier et quasiment jouer avec elles. Cette réalité était celle dans laquelle je voulais être.

Melanie Le Normand, System Engineer Flight Equipment, Space Division, APCO Technologies

Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir dans votre travail ?  

Il y a deux choses que j’aime particulièrement dans mon travail. La première est la résolution de problèmes techniques en équipe. J’aime arriver avec un problème technique pour lequel on ne semble voir aucune solution, et voir une solution vraiment efficace et intelligente en ressortir grâce à la mise en commun de plusieurs esprits. Cela exige une bonne compréhension technique, un esprit flexible pour penser au-delà des solutions techniques habituelles, ainsi que de bonnes compétences d’écoute et de compréhension pour entendre ses collègues et pousser les solutions émises encore plus loin. L’effervescence liée à l’exploitation de cette intelligence collective est une chose que j’aime profondément. La deuxième est la présentation des projets lors des revues importantes. La synthèse de tout le travail effectué durant des mois ou des années est un sentiment incroyable - on voit comment toutes les pièces du puzzle s’assemblent. Cela exige un esprit logique et organisé afin que chacun puisse aussi comprendre les raisons derrière chacune des décisions techniques.

Quels défis de notre époque relevez-vous concrètement dans votre métier ? 

L’industrie aérospatiale européenne est d’une importance capitale pour la compréhension   et la maîtrise des défis des processus climatiques. Dans mon travail, je suis contente de pouvoir actuellement travailler sur une des missions de satellites d’observation de la Terre, qui se concentre sur la surveillance et le suivi du changement climatique. 

Vous êtes enceinte. Est-ce que cela a changé votre point de vue sur votre carrière ?  

Oui, ma grossesse m’a ouvert les yeux sur certains aspects de ma carrière professionnelle. Comme dit précédemment, je ne me suis jamais vue comme différente du fait que je suis une femme. Ma grossesse a changé cette vision puisqu’elle est par nature exclusivement réservée aux femmes. En tant que femme, il faut à un moment se retirer pour une certaine période car la nature crée un petit humain en vous. Cela n’a pas été simple pour moi à accepter, mais m’a apporté beaucoup de perspective sur comment je me voyais dans cet environnement professionnel très masculin. J’ai réalisé que nous sommes réellement différents, que nous ne serons jamais pareils, car physiologiquement nous ne sommes pas pareils. Et c’est une chose extraordinairement positive ! J’ai réalisé que nos différences sont la clé de collaborations réussies, car les équipes de travail mixtes amènent différentes perspectives et sensibilités essentielles aux problèmes à résoudre.

 

Bref portrait

Études en Ingénierie Mécanique et en Technologies Spatiales à l’EPFL. Pendant les études : Space Summer Camp (Moscou), stages chez RUAG Space (Zurich), à l’agence spatiale CNES (Paris), au centre des matériaux composites de Todai-JAXA (Tokyo). Jusqu’à aujourd’hui : activité chez APCO Technologies.

Cet article, vaut-il la peine d'être lu ?

Dernière mise à jour: 03.01.2023